« Rivesaltes »

Abattoirs de Toulouse, 2019

Rivesaltes, impressions rehaussées, dessins, pigment et peinture acrylique sur plâtre, technique mixte, 80 plâtre de dimensions de 14 x21 x4,5cm, dans le cadre de l’exposition « Picasso et l’exil » au musée d’art moderne des abattoirs de Toulouse, France, 2019
Rivesaltes, impressions rehaussées, dessins, pigment et peinture acrylique sur plâtre, technique mixte, dimensions de 14 x 21 x 4,5 cm, 2019
Rivesaltes, impressions rehaussées, dessins, pigment et peinture acrylique sur plâtre, technique mixte, 80 plâtre de dimensions de 14 x21 x4,5cm, dans le cadre de l’exposition « Picasso et l’exil » au musée d’art moderne des abattoirs de Toulouse, France, 2019
Rivesaltes, impressions rehaussées, dessins, pigment et peinture acrylique sur plâtre, technique mixte, dimensions de 14 x 21 x 4,5 cm, 2019
« Dans le temps », d’épris des murs de Rivesaltes, plâtres, matériaux industriels de construction, Tuyau d’aluminium, 3 m x 40 cm, dans le cadre de l’exposition « Picasso et l’exil » au musée d’art moderne des abattoirs de Toulouse, France, 2019

« Dans le temps », d’épris des murs de Rivesaltes, plâtres, matériaux industriels de construction, Tuyau d’aluminium, 3m x 40 cm, dans le cadre de l’exposition « Picasso et l’exil » au musée d’art moderne des abattoirs de Toulouse, France, 2019

« Dans le temps », d’épris des murs de Rivesaltes, plâtres, matériaux industriels de construction, Tuyau d’aluminium, 3m x 40cm, dans le cadre de l’exposition « Picasso et l’exil » au musée d’art moderne des abattoirs de Toulouse, France, 2019
Prélèvement, Guernica, Espagne, Technique mixte sur toile de lin, 200 cm x 150 cm, 2014
Rivesaltes, Exposition « Histoire(s) » les artistes chez l’habitant, FIAC Occitanie, France

RIVESALTES PAR NISSRINE SEFFAR

Faisons nos comptes. D’est en ouest et du nord au sud, après deux guerres mondiales, cent guerres
locales et combien de déportations, purifications ethniques et regroupements de population, le XXème
siècle n’aurait-il pas été, en définitive, celui des errances et des déracinements ? 1

De Guernica à Rivesaltes

Nous avons rencontré Nissrine Seffar dans son atelier à Sète au printemps 2018, nous travaillions alors à la préparation de l’exposition « Picasso et l’exil. Une histoire de l’art espagnol en résistance » aux Abattoirs à Toulouse (15 mars – 25 août 2019) et à celle d’un programme de 22 expositions, intitulé « Je suis né étranger », se déroulant dans toute l’Occitanie à l’occasion du 80e anniversaire de la Retirada.
Nous savions que Nissrine Seffar menait depuis plusieurs années un travail sur le Guernica de Pablo Picasso et qu’il avait fait l’objet de plusieurs expositions en France, en Espagne, au Maroc et en Chine, mais nous ignorions ses recherches et ses œuvres sur le camp de Rivesaltes.
Cette rencontre a débouché sur une double invitation à l’artiste  : d’une part, présenter un ensemble d’œuvres dans le volet contemporain de l’exposition « Picasso et l’exil » et d’autre part produire une exposition monographique au Carmel à Tarbes, intitulée « Guernica. Trace »
Ces projets ont abouti à l’entrée de deux œuvres de Nissrine Seffar (Prélèvement Guernica Espagne 2019 et Rivesaltes, 2019) dans la collection des Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse.

Nissrine Seffar, née en 1983 au Maroc, a grandi et a commencé sa formation artistique à Casablanca. Fin 2010, elle est encore au Maroc lorsqu’une succession de révoltes se produit dans tout le monde arabe qui revendique les libertés publiques et individuelles. Le Printemps arabe nourrit alors beaucoup d’espoir vers une transition démocratique, mais celui-ci est de courte durée ; à l’espoir va succéder la peur, voire la terreur dans certains pays. Nissrine Seffar est profondément marquée par ces événements et son travail artistique va désormais porter sur la mémoire, en donnant un autre éclairage à des faits historiques. L’artiste entame alors ses recherches d’empreintes d’histoires liées à la Méditerranée, en tentant de rassembler les pièces perdues d’un puzzle. Elle se nourrit de nombreuses lectures  : Fernand Braudel, Paul Ricœur, Georges Didi-Huberman entre autres.

1. Régis Debray, Le stupéfiant image. De la grotte Chauvet au Centre Pompidou, Paris, éditions Gallimard, 2013, p. 347.

2. En janvier et février 1939, près de 500 000 réfugiés espagnols franchissent la frontière pyrénéenne suite à la prise du pouvoir du Général Franco et sa victoire qui met fin à trois années de guerre en Espagne. Une majorité se retrouve rapidement sur les plages du Roussillon, à Argelès, à Saint-Cyprien et au Barcarès. Près d’une dizaine de camps d’internements sont mis en place, dont celui de Rivesaltes.

Mais c’est avant tout le Guernica de Picasso, l’une des plus célèbres peintures d’histoire du XXe siècle, par sa puissance et son impact mondial, qui va être au centre de son étude et de ses investigations artistiques et prendre la forme d’un programme que Nissrine Seffar va développer pendant près de 8 ans. Elle s’inscrit ainsi dans le sillage de nombreux artistes de l’histoire de l’art qui s’emparent du sujet historique ou traitent des événements dont ils sont contemporains. Et cet intérêt des artistes va grandissant à mesure que le flux d’informations s’intensifie, nous submergeant d’images de guerres, de conflits et de déplacements.

En 2011, Nissrine Seffar s’installe en France et très rapidement elle entreprend un voyage à Guernica, au Pays basque espagnol. Elle y découvre, conservé au Sénat, l’arbre qui a souffert lui aussi du bombardement. Cet arbre mort et calciné y est conservé en mémoire du martyre de la ville et symbolise la résistance du peuple basque. L’artiste va entreprendre un travail de recherche, de prélèvements, d’empreintes de l’arbre de Guernica, chaque exposition étant l’occasion de compléter ce programme composé de peintures, de volumes et de documents. Parallèlement, elle entame un travail sur le camp de Rivesaltes.

De Rivesaltes à Fiac

C’est en France que l’artiste découvre l’existence du camp de Rivesaltes par le récit de harkis qu’elle rencontre. Nissrine Seffar se rend à Rivesaltes dès 2012, et depuis Sète elle va s’y rendre régulièrement et fréquemment. Elle arpente seule cette vaste étendue où subsistent les baraquements en ruine, elle prend des photographies, réalise des dessins qui témoignent de l’érosion de ces habitations sommaires. Elle complète ce travail par des recherches historiques et documentaires.

L’histoire de ce camp, qui se trouve à Salses-Le-Château dans les Pyrénées-Orientales, pourrait illustrer à lui seul ce siècle « d’errances et déracinements » tel que Régis Debray le définit dans la citation en préliminaire de ce texte. Créé en 1938, initialement à des fins militaires, ce camp de 600 hectares va accueillir dès 1939 les réfugiés espagnols et les volontaires des brigades internationales chassés d’Espagne par la victoire de Franco. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, suite à l’instauration du régime de Vichy, il devient le « Drancy de la zone libre ». À la sortie de la guerre, y sont internés les suspects de collaboration et des prisonniers de guerre. La décolonisation française, et plus particulièrement la guerre d’Algérie (1954-1962), va marquer également l’histoire du camp  : des militaires et des prisonniers y séjournent avant qu’il ne devienne un camp de transit pour les harkis jusqu’en 1964. Entre 1986 et 2007, le camp se transforme en un centre de rétention administrative pour étrangers expulsables. Enfin, en 2015, est inauguré le « Mémorial du Camp de Rivesaltes », un projet né de la société civile dans le but de lutter contre l’oubli et l’effacement de ce lieu-témoin historique majeur de l’histoire contemporaine française.

3. Picasso réalise cette huile sur toile en 1937 à Paris, en réponse à une commande du gouvernement républicain pour le pavillon espagnol de l’Exposition internationale de 1937 à Paris. Cette toile monumentale est une dénonciation engagée du bombardement de la ville de Guernica, qui s’est produit le 26 avril 1937, lors de la guerre d’Espagne, ordonné par les nationalistes espagnols et exécuté par les troupes allemandes nazies et fascistes italiennes. Le tableau de Picasso, exposé dans de nombreux pays, a joué un rôle important dans l’intense propagande suscitée par ce bombardement et par la guerre d’Espagne ; il a acquis ainsi rapidement une grande renommée et une portée politique internationale, devenant un symbole de la dénonciation de la violence franquiste et fasciste, puis de l’horreur de la guerre en général. Il est devenu aussi un symbole de paix. Conservée pendant toute la dictature franquiste aux États-Unis, au MoMA de New York à la demande de Picasso, cette œuvre a été, plusieurs années après la mort de l’artiste, transférée en 1981 en Espagne, où elle est conservée depuis 1992 au Museo Centro de Arte Reina Sofía à Madrid.

Pour sa 20e édition, le festival « Des artistes chez l’habitant » à Fiac dans le Tarn (13-15 septembre 2019), porté par l’AFIAC, réunissait des artistes autour du sujet Histoire(s), venant ainsi coïncider avec la programmation des Abattoirs en lien avec le Guernica de Picasso et nos recherches sur l’artiste et la question de l’exil. Le choix de Nissrine Seffar s’est imposé et une nouvelle invitation lui a été faite de relever le défi unique d’introduire l’histoire du camp de Rivesaltes, au cœur d’un foyer fiacois, le temps d’un week-end.

C’est ainsi que l’artiste franco-marocaine fait entrer dans la maison de Thinh Le et Nanou Souet, sa famille d’accueil pour l’exposition de l’AFIAC, des images d’abris de fortune au cœur d’un foyer. À cette occasion, elle produit de nouvelles photographies et dessins, et les met en scène en y insérant du mobilier domestique. Cette histoire vient croiser celle de son hôte, Thinh Le, arrivé adolescent en France avec son jeune frère avec les Boat People dans les années 1980. Car le camp de Rivesaltes, par son épaisseur, dépasse sa propre histoire et fonctionne comme un symbole de toutes les guerres et de tous les exils, d’un accueil organisé sur le principe de l’exclusion. Il résonne dans notre actualité, avec tous les camps du monde entier qui s’improvisent au gré des conflits et des vagues migratoires, sans cesse démantelés et déplacés.

L’exposition de Nissrine Seffar à Fiac présente trois photographies de baraquements dont les murs sont en train de tomber en ruines. Prises avant le coucher du soleil, la texture des murs apparaît presque picturale et révèle différentes strates. La lumière et le cadrage rendent les images de ces vestiges d’abris de fortune presque fictives. À chacune de ces photographies est associé un dessin minimal en une seule couleur (noir, jaune et rouge) qui reprend l’architecture du baraquement sur laquelle elle a gravé subtilement un grillage suggéré par la seule empreinte sur le papier, pour évoquer l’enfermement à la fois physique et mental.

Face à ces images et dessins, Nissrine Seffar a introduit du mobilier de l’habitant ; des chaises hautes affrontent les œuvres, pour évoquer les gardiens du camp, spectateurs vigiles de cette histoire. Elle a inséré également dans son installation des plantes sèches trouvées dans la maison de Tinh et Nanou qui ressemblent étonnamment à celles du terrain du camp de Rivesaltes et crée ainsi des correspondances entre des foyers de natures diverses. Au centre de l’installation, le « Robot G7 », un aspirateur robot auquel l’artiste a accroché les drapeaux des nations les plus puissantes du monde, tourne en rond à l’aveugle. Cette présence rappelle qu’avec une certaine forme d’indifférence, ce « Robot G7 » décide de l’ordre comme du désordre du monde, précipitant, dans certaines régions, des populations sur les routes, sur la mer, dans l’abîme.

Dans l’œuvre de l’artiste, la question de la trace dépasse la représentation, Nissrine Seffar fouille telle une archéologue avec la volonté de révéler ces strates de l’histoire et travaille ainsi notre mémoire en profondeur. En privilégiant la dimension sensible, elle ouvre à toutes les lectures, à tous les récits, à toutes les biographies personnelles telles des couches qui peuvent s’ajouter et venir épaissir l’histoire.
Bien que Rivesaltes se situe en Occitanie, la plupart des habitants et visiteurs de l’exposition à Fiac découvrent cette histoire, mais dans la convivialité du foyer et l’échange direct avec l’artiste, nombreux sont ceux qui spontanément racontent leur propre histoire ou celle de proches, tissant ainsi les fils d’une histoire commune de tous les exils, et rappelant ainsi que personne n’est indemne de l’Histoire.

Avec cet assemblage de photographies, de dessins, de volumes et d’objets divers, fait de superpositions et d’imbrications, l’artiste tente de reconstruire un passé pour l’activer dans notre actualité, celle d’une multitude brinquebalée par les conflits, les guerres et les stratégies de survie. Sa démarche est « une prise de position critique visant à lever une mémoire dans l’actualité ou une actualité dans l’histoire », telle que l’exprime Georges Didi-Huberman, philosophe et historien de l’art français, et référence majeure pour Nissrine Seffar.
Si les faits historiques que concentre le camp de Rivesaltes sont douloureux pour ne pas dire honteux, ce programme artistique au long cours n’a pas vocation à nous accabler. C’est pour cette raison que l’artiste se démarque de tout traitement réaliste ou du reportage, l’approche frontale pouvant parfois rendre encore plus distant le sujet. Elle privilégie une démarche plastique sensible où prime le travail de la couleur, de la matière et de la lumière pour mieux révéler l’empreinte, à la fois trace du fait historique et phénomène de l’Histoire.

Emmanuelle Hamon
Les Abattoirs,
Musée – Frac Occitanie Toulouse

 

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